30 millions d’euros de détournés.
C’est le chiffre de la dernière affaire de fraudes communiquée par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Ce montant, énorme par son ampleur, n’est pourtant pas vraiment une surprise dans le milieu de la formation.
Il y a depuis quelque temps déjà une forme d’habitude à voir de nouvelles escroqueries révélées au grand jour, presque une résignation.
L’occasion de revenir sur quelques affaires de fraudes significatives survenues au cours des derniers mois.
Je vous expliquerai également pourquoi je trouve que c’est une bonne chose que cela sorte maintenant.
1) La fraude aux Titres du Ministère du Travail sur le CPF
C’est la dernière affaire en date, et sans doute une des plus importantes par son ampleur.
En effet, un réseau de plus de 170 organismes de formation a été épinglé et sanctionné (déréférencement, remboursement des sommes…).
Le principe : les organismes sollicitaient une habilitation pour un ou plusieurs Titres du Ministère du Travail, du CAP au Bac+4. La démarche, essentiellement administrative, leur permettaient de proposer ensuite leur offre sur Mon Compte Formation.
Jusque-là, rien d’illégal. Toutefois, ce qui l’est moins, c’est plusieurs autres pratiques :
Formation sans lien avec le référentiel.
Durée bien trop courte (une dizaine d’heures parfois pour des titres qui en nécessitent plusieurs centaines !).
Tarification « à la carte« en fonction de ce qu’avaient les stagiaires sur leur CPF.
Pour palier ce détournement, la procédure d’habilitation des Ministères va être revu et le contrôle des partenaires renforcé.
2) Les aides régionales aussi visées
Début 2024, la région Île-de-France a suspendu son portail d’aides à la formation pour les demandeurs d’emploi en raison de fraudes détectées qui ont fait exploser le budget 2023. 75 millions d’euros ont en effet été distribués contre seulement 30 millions d’euros provisionnés pour l’année.
La cause : un gros flux de dossiers arrivé fin 2023 via plusieurs organismes qui avaient mis en place des systèmes de fausses formations et de survalorisation des heures réellement effectuées par les stagiaires.
Si le portail a depuis repris son activité au cours du mois d’avril, les crédits pour 2024 ont été réduits à 10 millions d’euros contre les 25 millions d’euros prévus initialement.
Le nombre de demandes par OF a également été plafonné à 40 par an et le taux de prise en charge d’un dossier ne peut désormais excéder 80 % du montant de la formation.
Chat échaudé craint l’eau froide…
3) La classique rétrocommission
Récemment, Tracfin a démantelé un réseau impliquant 18 entreprises et 6 585 particuliers.
Là encore, le montant est significatif : 14 millions d’euros !
Le mode opératoire est tristement célèbre. C’est celui qui a longtemps circulé sur de nombreux réseaux sociaux
Un OF s‘enregistre sur Mon Compte Formation (MCF) et crée une formation libre de certification (par exemple la formation Création d’entreprise).
Il prospecte sur les réseaux sociaux ou des canaux privés (Discord, Snapchat, Telegram…) avec une proposition alléchante : récupérer une partie en cash du montant de ses droits CPF.
La formation n’a pas lieu, mais l’organisme valide bien une complétion de 100 % sur EDOF et empoche l’argent.
Le cash est versé au particulier complice (non déclaré bien sûr).
En cas de demande de justificatif, l’OF produit des faux et demande au complice de confirmer le suivi de la non-formation pour se sécuriser.
4) Les OF aussi visés par la fraude
On a longtemps cru que la fraude visait à détourner avant tout l’argent des particuliers et des financeurs, mais depuis quelques mois plusieurs arnaques visent les organismes de formation eux-mêmes.
J’évoquais dans un précédent article trois type de fraudes que j’avais recensées :
L’arnaque au RIB
L’arnaque combinée
Le piratage de compte France compétences
Une nouvelle combine a depuis été remontée par la fédération « Les acteurs de la compétence ».
En usurpant l’identité d’une inspectrice de la DREETS et en utilisant les logos d’instances publiques, il a été demandé à plusieurs OF de modifier ou retirer leur offre sur MCF.
De source proche du dossier, cette fraude viserait une thématique de formation en particulier et serait à l’initiative d’un ou plusieurs organismes en vue d’éliminer de la concurrence.
Affaire à suivre…
5) Pourquoi la fraude, c’est bien ?
Ce titre est un brin provocateur, et je me dédis tout de suite : non, la fraude, c’est nul et j’aimerais qu’il n’en existe jamais !
Mon propos est plutôt celui-là : à mesure que les affaires sortent, elles témoignent du travail de contrôle des services de l’État et montre à ceux qui voudraient tenter le coup que l’étau se resserre.
Il faut aussi avoir en tête que certaines enquêtes peuvent prendre plusieurs années.
Ce qui sort aujourd’hui est à l’image de ce qu’était le CPF, il y a 2-3 ans : un environnement beaucoup plus ouvert, avec sensiblement moins de garde-fous.
C’est souvent cette vision désynchronisée qu’il est difficile à saisir pour le grand public et les décideurs : le travail d’enquête et de contrôle ne témoigne pas de la situation de l’environnement à l’instant T, mais beaucoup plus à T-1, voire T-2.
Je reste persuadé qu’avec le verrouillage du système actuel (Est-ce trop ? C’est une autre question…) va considérablement réduire les affaires de ce genre à l’avenir.
Je ne prédis bien sûr pas la fin des fraudeurs, mais leur migration vers d’autres secteurs plus rentables et poreux…
L’article Et si la fraude n’était pas une mauvaise nouvelle pour la formation ? est apparu en premier sur Digiformag.