Chroniques d’un directeur pédagogique – Épisode 5
Cet article s’inscrit dans le cadre des chroniques d’un directeur pédagogique. Ce cinquième épisode aborde un sujet hautement stratégique pour tout certificateur : les nouvelles règles du jeu en matière de dépôt, de gestion et de contrôle des certifications professionnelles, à la lumière du décret du 6 juin 2025.
Une réforme dans la continuité
Côté certificateur, cela fait bien longtemps que le dépôt d’un dossier n’est plus un long fleuve tranquille. Les taux d’acceptation de la part de France compétences (63,5 % pour le RNCP et environ 20 % pour le répertoire spécifique en 2023) en témoignent. Déposer n’est pas une simple formalité, c’est un vrai travail de conception qui peut (doit ?) prendre des mois. Référentiel de compétences, note d’opportunité, valeur d’usage, suivi des cohortes… il y a déjà énormément d’étapes pour toucher le Graal.
Le décret du 6 juin 2025 vient durcir encore le cadre. Objectif annoncé : renforcer la qualité et la transparence du système. Objectif ressenti : réserver l’entrée aux plus aguerris.
Plusieurs des points du décret m’interpellent et vont m’impacter en tant que praticien au sein d’un OF. Voici ma lecture pratique de ces changements.
Il y a le bon dossier et le mauvais dossier
Depuis le 1ᵉʳ octobre 2025, de nouvelles exigences se sont appliquées pour qu’on puisse parler « d’un bon dossier. »
Le référentiel devra intégrer plusieurs blocs incontournables :
- Transitions écologique et numérique
- Santé, travail, accessibilité, handicap
Une seule promotion pourra suffire pour l’instruction, mais la certification ne sera alors valable que trois ans (intéressant pour les primo-déposants). Autrement dit : on entre pour faire ses preuves, mais pour s’installer durablement dans le jeu, il faudra démontrer sa capacité à attirer des stagiaires avec de vraies perspectives d’emploi.
3 refus ou dépôts mal ficelés en cinq ans vaudront une carence d’un an.
Autant dire qu’on va réfléchir à deux fois avant de déposer un dossier et cliquer sur le bouton « envoyer. »
Mon avis de praticien :
Le passage à la présentation d’une seule promotion était attendu. C’était en effet un des freins importants au dépôt, puisqu’il fallait démontrer sa capacité à vendre des parcours – parfois long et coûteux – sans financement public. Selon les domaines, ce n’est en effet pas toujours une sinécure de trouver des stagiaires « cobayes » qui vont « essuyer les plâtres », avec une reconnaissance RNCP non garantie au final de leur côté. Cela dit, la reconnaissance pour une durée de 3 ans maximum me parait un bon point d’équilibre.
Quant à la perspective d’une carence pour redéposer, on peut imaginer que cela poussera à travailler davantage encore son dossier, en prenant parfois quelques semaines supplémentaires pour muscler sa note d’opportunité avant l’envoi. Mais on en était déjà là avec les exigences des dernières années.
Pour les certificateurs en place : le niveau monte aussi
Pour les certificateurs déjà installés, il faudra désormais documenter les promotions de l’année en cours et de l’année précédente.
Finie la possibilité de montrer uniquement les résultats « historiques » flatteurs d’il y a 3 ou 4 ans. C’est l’efficacité actuelle qui sera jugée.
Concernant les conventions de partenariat, elles devront comporter 10 mentions obligatoires : modalités financières, conditions de sous-traitance, encadrement sécurité. Formalisme renforcé donc, mais également réactivité, puisque tout partenaire habilité devra être déclaré dans les deux mois à France compétence (on peut considérer que cela reste un délai très raisonnable pour le faire).
Mon avis de praticien :
La logique des preuves a changé. On n’est plus dans le « bilan tous les cinq ans » : il faut démontrer les résultats beaucoup plus vite, beaucoup plus concrètement. Et vu la vitesse à laquelle le marché et les besoins en compétences bougent, c’est franchement cohérent.
Mais ça implique un vrai changement de braquet : on va devoir redoubler d’inventivité pour construire des référentiels de compétences qui tiennent la route et qui restent assez souples pour coller à la réalité du terrain. Le but, au fond, c’est toujours le même : être capable de montrer qu’on forme pour de vrai, que les gens trouvent du travail à la sortie. C’est de l’ingénierie de certification pure, mais aussi une grosse dose d’ingénierie pédagogique.
Sur les partenariats : oui, le formalisme monte en flèche, et clairement, ça alourdit le suivi. Mais ce n’est pas plus mal. J’ai connu l’époque où un simple coup de fil ou un mail pouvait valoir partenariat — bon, cette époque est finie. Aujourd’hui, tout doit être cadré, signé, suivi. Et au fond, c’est plus sain. Le revers de la médaille, c’est que les certificateurs se ferment de plus en plus. Certains ne veulent carrément plus de partenaires. Trop de risques, trop de contrôles, trop de travail derrière. Les verrous se posent les uns après les autres sur les points d’entrée historiques de la fraude au CPF.
Des exigences renforcées pour les partenaires habilités
Côté préparation à la certification, le message est clair : on ne bricole plus.
Un partenaire a des missions claires, et doit :
- Dispenser l’ensemble des compétences
- Respecter les durées minimales de formation et de stage
- Ne pas faire de l’hybride si le référentiel impose le présentiel
- Respecter les ratios
- Utiliser l’intitulé exact de la certification
Côté évaluation, les garde-fous se resserrent :
- Le référentiel est le seul cadre d’évaluation
- Un organisme ne peut être centre d’évaluation pour un autre centre s’il a déjà assuré la formation
Mon avis de praticien :
La ligne rouge est claire : on ne dénature pas la certification. Ce rappel à l’ordre sur la frontière entre formation et évaluation est une bonne chose et remet les pendules à l’heure.
Mais si on est complètement honnêtes, cela va compliquer sérieusement la vie des réseaux et des multi-sites. Pour les partenaires, ça veut donc dire monter en gamme, apprendre à lire un référentiel dans le texte, et surtout, arrêter de bricoler dans son coin.
Contrôles et sanctions : nouvelle ère de rigueur
Les contrôles se font désormais à deux niveaux :
- En amont : un dossier avec des fausses données ou plagiées pourra être sanctionné sans sommation.
- Durant la période de validité de la certification : France compétences pourra désormais mandater des tiers pour contrôler la bonne mise en œuvre de la certification, à l’instar de ce que font déjà les financeurs.
La palette des sanctions s’étend de la mise en demeure à l’interdiction de dépôt pendant deux ans.
Mon avis de praticien :
On passe à une logique de contrôle renforcé et externalisé comme ce qui a pu être mis en place dans la cadre du GIE D2OF. Pour les OF, cela veut dire une obligation de conformité non seulement sur la forme (du dossier), mais sur le fond (la mise en application). Pour le coup, je ne peux que m’en réjouir tant j’ai vu des écarts aberrants sur le marché entre certification sur le papier, et parcours dans la réalité…
En conclusion
Ce décret du 6 juin 2025 a marqué une nouvelle étape dans l’encadrement des certifications professionnelles. Il renforce les exigences, clarifie les rôles, verrouille les dérives, et oblige tous les acteurs – certificateurs comme partenaires – à monter en compétence. On peut y voir une contrainte supplémentaire, ou bien une opportunité d’élever le niveau global de la formation professionnelle en France. C’est au choix.
Mon avis de praticien :
Pour les experts du domaine, ces nouveautés ne surprennent pas. Entre veille, échanges entre pairs et bruits de couloir, cela fait plus d’un an que nous intégrons la grande majorité de ces exigences dans nos dossiers de certifications. Elles sont désormais officielles. Dont acte. Mais ça ne va pas modifier sensiblement notre manière de fonctionner.
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